Croire ou savoir, faut-il choisir ?

Synthèse du cours STG sous forme de dissertation
Publié le 31 janvier 2010, mise à jour le 15 avril 2010
par vventresque
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Rappel :
- trois questions avaient été proposées pour préparer cette dissertation : 1) Différence entre une croyance vraie et un savoir ? 2) Peut-on douter de tout ou existe-t-il un savoir indubitable ? 3) Peut-on tout savoir, ou y a t-il des questions qui ne trouveront jamais de réponse ?
- les textes cités se trouvent dans le manuel (chapitres sur la vérité, la raison et la croyance, l’expérience).

Introduction

On a pu penser que le développement des connaissances scientifiques nous offrirait toutes les réponses que nous pouvons espérer. Certaines questions, celles qui concernent le sens de notre existence, semblent pourtant hors de portée du savoir, et le progrès nous laisse face à de nombreux mystères. Nous pourrions être tentés d’en conclure que le savoir ne nous donne pas des repères suffisants, que la vie nous impose certaines évidences que nous devons nous contenter de croire. La devise des Lumières « ose savoir » (Kant) et notre culture du progrès nous invitent pourtant à considérer le développement du savoir comme un idéal indispensable au bien de l’humanité.

Voici le paradoxe : 1) incontestablement, si on décide d’éliminer le savoir, on tombe dans l’obscurantisme, ou la crédulité : ce serait renoncer au libre exercice du jugement. Ainsi, entre croire et savoir, il faudrait toujours choisir le second terme. Mais, 2) si on privilégie systématiquement le savoir, alors on risque de tomber dans un autre culte, qui consiste à trop croire en la vérité scientifique, croyance qu’on appelle le scientisme  ; même les plus grands savants ont l’honnêteté de ne pas prétendre à un savoir absolu.

Faut-il alors considérer le savoir comme le seul accès légitime à la vérité, et se méfier par principe de la croyance, ou bien est-il raisonnable de recourir à la croyance ?  

Développement

 

I) « croire qu’on sait » ou « savoir qu’on sait » ? (du vraisemblable au certain)

- Argument négatif (par l’absurde) : Si l’on ne reconnaît pas la nécessité de choisir entre croire et savoir, alors tous les discours sont mis au même niveau, tout est relatif. Il ne faut pas confondre le droit de chacun à défendre un point de vue qui lui est propre (liberté de penser, perspectivisme) avec le relativisme qui affirme une égale valeur des points de vue : on peut prouver que certaines croyances sont fausses, et il serait risqué de se fier à n’importe quoi ! On peut penser au cas de l’endoctrinement dans une secte.
- Croire qu’on sait, c’est risqué, c’est même parfois rester prisonnier d’un préjugé, tomber dans la bêtise. On en reste alors au niveau des apparences, ce qui est semblable au vrai, vraisemblable, peut être faux. Mieux vaut avoir conscience de nos erreurs potentielles. Apprendre que nous nous trompons souvent en croyant savoir, en confondant conviction et certitude, c’est le début de la sagesse : cf. la docte ignorance, Socrate. la superstition comme paralysie de l’esprit
- Le savoir nous offre des garanties, la possibilité de vérifier par nous-mêmes. L’expérience, la démonstration ou la preuve apporte la confirmation des théories scientifiques, nous pouvons trouver dans la capacité scientifique de prévoir les changements climatiques plus d’efficacité et de fondement que dans une croyance du type « en avril ne te découvre pas d’un fil ». etc.
- Transition : Mais il n’existe pas de savoir absolu, et la seule vérité absolument indubitable que nous possédions est une connaissance vide, la certitude d’être (le cogito : « je pense, je suis »). Au fond, le savoir ne fait pas totalement disparaître le doute. Savoir que la connaissance a des limites ne nous autorise-t-il pas à penser qu’il peut être raisonnable de croire ?    

II) du « savoir qu’on ne sait pas » au « savoir-croire »

 
- Savoir, c’est savoir sur quoi repose la connaissance, quelles sont ses limites. (« la carte n’est pas le territoire »). Reconnaître les limites de son savoir et pouvoir critiquer son propre discours, chercher les failles. Comme pour une fonction, qui a un domaine de définition, toute connaissance est valide sous certaines conditions.
- L’hypothèse du scientifique et la falsifiabilité : aucune vérité scientifique n’est définitive, c’est la possibilité de tester, de critiquer et de proposer une contre-expérience qui fait la valeur du savoir (Popper texte p.141). La science a besoin de tenir pour vraies des choses incertaines, c’est ce qu’on appelle faire une hypothèse.
- Croire ne signifie pas forcément être crédule, la foi n’exclut pas forcément le doute. Comme le montre Alain, « ceux qui refusent de croire sont des hommes de foi » : exemple de la foi en la paix (texte p. 104)
- La croyance est aussi un effort pour donner du sens à l’expérience, trouver des valeurs communes pour vivre ensemble. On peut dire avec Durkheim que la croyance ne rentre pas en concurrence ave la science, qui cherche à expliquer des faits et non à donner des valeurs (texte p. 111).

- Transition : Ainsi le savoir et la croyance peuvent se révéler deux démarches complémentaires et compatibles avec les intérêts de la raison. Le savoir correspond à l’intérêt théorique, à l’objectif de connaître l’expérience possible ; on ne demandera plus à la croyance la vérité sur les phénomènes de la nature, mais de nous orienter dans les problèmes pratiques. Et peut-on prétendre à la liberté sans inventer une stratégie qui compose raisonnablement savoir et croyance ?  

III) le pari, un choix qui rationalise la croyance ?

 
- Les deux thèses examinées reposent sur des interprétations différentes de la même question « croire ou savoir faut-il choisir ? » :  

croire savoir choisir
oui opinion, superstition certitude, théorie vérifiable et efficace préférer, donner la priorité à l’un sur l’autre
non foi, hypothèse sagesse, attitude critique trancher, sélectionner (en excluant l’autre)

- Ces deux interprétations supposent toutes deux une distinction radicale du savoir et de la croyance, mais rappelons qu’ils sont souvent indissociables, et qu’on peut les allier : tout choix et même tout acte libre reposent sur une prise de risque, une avancée ou un engagement dans l’inconnu. Pour autant, la prise de risque n’est pas forcément irrationnelle. Ce qu’on appelle la stratégie, c’est précisément former des conjectures en termes de probabilités : à partir de la mesure du risque, la délimitation précise des zones d’ignorance, se constitue un nouveau type de savoir. Toute prévision tient compte de l’incertitude. Comme le montre Wittgenstein, il ne s’agit pas de tout vérifier, ce qui est impossible, mais "la difficulté, c’est de nous rendre compte du manque de fondement de nos croyances" (texte p. 116)
- De plus, une société où le citoyen n’a pas la possibilité de choisir n’est pas considérée comme démocratique (liberté d’opinion religieuse, laïcité, etc). Les relations humaines nous obligent à nous fier à autrui, c’est le fondement de la société (cf. le thème de la promesse et de la responsabilité dans les théories du contrat social). L’invention en commun de la liberté repose sur une sorte de pari : croire en la justice ou la liberté est nécessaire pour les créer (le droit n’existe pas, il faut le faire).
- Enfin, nous pouvons analyser deux types de pari qui montrent une alliance réussie entre foi (pas forcément religieuse, cf Alain p. 104) et raison : le pari pascalien et le projet spinoziste.
— Pascal démontre qu’il est possible de choisir rationnellement la croyance. Selon lui, non seulement on ne perd rien à parier sur l’existence de Dieu, mais la foi est elle-même un gain pour l’esprit. Pascal ne peut d’ailleurs être taxé d’obscurantisme, puisqu’il était en même temps un grand savant, ayant lui-même mené des recherches mathématiques sur la notion de probabilité.
— Spinoza de son côté parie sur une libération par la joie de savoir, et développe une méthode qui permet à l’esprit de comprendre les enchaînements des affects par leurs causes (ce qui met fin à l’illusion du libre-arbitre). Un modèle d’action nous est proposé (IVème partie, préf.) où il s’agit de croire dans les possibilités de la raison…

Conclusion

Croire et savoir sont donc complémentaires et interdépendants, ce qui signifie que le choix exclusif de l’un au détriment de l’autre n’est ni obligatoire ni vraiment possible. Il ne s’agit pas non plus de les confondre, il faut donc savoir les (co)ordonner : l’exemple du pari montre qu’il est possible de composer une attitude rationnelle malgré l’incertitude et le nécessaire recours à des probabilités.  


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