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Explication de texte - séries technologiques : exemple d’étude linéaire (ébauche)

Texte de Hannah Arendt, manuel p. 145
Publié le 29 décembre 2009, mise à jour le 5 octobre 2010
par vventresque
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Rappel méthodologique

- Comme la dissertation, l’explication de texte vous demande de dégager un problème philosophique : les questions qui accompagnent le texte dans l’épreuve des séries technologiques servent à guider l’étude vers une problématique.
- Ces questions, au nombre de trois ou 4, sont progressives et peuvent être classées en trois niveaux :
— compréhension globale du texte : thèse, articulations (progression logique, étapes de l’argumentation).
— compréhension détaillée d’un ou deux passages : certains points difficiles demandent un effort particulier de questionnement, d’interprétation. Il s’agit, en justifiant, de formuler une ou deux hypothèses sur le sens de telle phrase ou telle expression
— réflexion critique : il s’agit de comparer la thèse du texte à d’autres thèses possibles, afin d’en dégager les limites (failles et fondements : critiquer c’est examiner la valeur),
- Problématiser le texte, c’est montrer que la thèse défendue est paradoxale, même si on est « d’accord avec » l’auteur : il faut trouver ce qui peut paraître évident pour un autre, changer de point de vue.
- De la même manière que dans la dissertation, il faut être capable de définir clairement les termes employés, et utiliser des distinctions conceptuelles pour comparer les différents points de vue.
- Aucune méthode de rédaction n’est imposée : on peut choisir de traiter les questions séparément ou rédiger une explication qui intègre les réponses dans un développement global, linéaire ou thématique.

Texte : Hannah Arendt, la vie de l’esprit (1978)

Être en vie signifie occuper un monde qui précédait votre arrivée et survivra à votre départ. Sur ce plan de la vie pure et simple, apparition et disparition, dans leur succession, constituent les événements primordiaux qui délimitent le temps, l’intervalle entre la vie et la mort. Le nombre limité d’années imparti à tout être vivant détermine non seulement la durée de sa vie, mais aussi sa façon de vivre le temps ; il fournit le prototype (1) caché de toute mesure du temps, aussi loin qu’on le veuille dans le passé et le futur, au-delà d’une vie humaine. C’est ainsi que l’expérience vécue de la durée d’une année change du tout au tout au cours d’une vie. L’année qui, pour un enfant de cinq ans, représente tout un cinquième d’existence, doit sembler beaucoup plus longue qu’elle ne le fera quand elle n’en sera plus que le vingtième ou le trentième. Chacun sait combien les années tournent de plus en plus vite avec l’âge, jusqu’à ce que, quand arrive la vieillesse, elles recommencent à ralentir, parce qu’on se met à les évaluer en fonction de la date du grand départ, pressentie psychologiquement et somatiquement (2). Cette horloge inséparable des êtres humains qui naissent et meurent, s’oppose au temps objectif selon lequel la longueur d’une année ne change pas. C’est là le temps qui règle le monde et se fonde - en dehors de toute croyance religieuse ou scientifique - sur l’hypothèse qu’il n’a ni commencement ni fin, hypothèse qui ne peut que venir naturellement à des êtres entrés de tout temps dans un monde qui les a précédés et leur survivra.

Introduction

On pouvait lire sur les cadrans solaires « toutes les heures blessent, la dernière tue » : nous sommes perpétuellement en train de vieillir et nous n’y pouvons rien. On n’arrête pas le temps, on ne le remonte pas. Les changements que nous vivons semblent bien indépendants de nous, tout comme le monde qui nous accueille et nous engloutit. Il serait rapide toutefois de conclure que le temps s’écoule sans tenir aucun compte de notre vie : le temps serait-il ce qu’il est si nous étions immortels ?

Le problème se pose de savoir si le temps est une réalité objective, indépendante de l’expérience. En y regardant de plus près, on peut considérer que notre expérience du temps est construite par notre esprit, en fonction de nos attentes et de notre expérience acquise, même lorsque l’on se réfère à une mesure objective de la durée. Le texte de Hannah Arendt défend cette thèse paradoxale que le temps est un rapport entre la vie individuelle, intervalle délimité, et l’existence indéfinie du monde, plutôt qu’une réalité objective.

Étude linéaire

- 1) lignes 1-9 : la délimitation du temps : un rapport entre la vie individuelle et l’existence du monde

Dans un premier temps, Arendt expose sa thèse : il n’y a de temps que par rapport aux bornes de notre existence dans un monde qui nous dépasse. Ce n’est pas une invention purement fictive de notre imagination, mais le cadre mental de toute expérience humaine.

— La condition de l’homme est finie et mystérieuse : même si nous n’en avons pas conscience explicitement, l’angoisse, ou la simple peur, est là pour nous rappeler notre vulnérabilité. La durée de notre vie est finie et inconnue : nous ignorons tout des raisons de notre présence au monde et de la mort. Voilà la source de toutes nos difficultés. Nous sommes partagés entre l’ignorance de l’avenir et la certitude de la mort, etc.

— Le texte propose un (premier) argument difficile : selon Arendt, la mesure du « temps objectif » est elle-même construite sur le modèle d’un découpage plus fondamental, la délimitation première des bornes de l’existence individuelle dans le monde. Qu’est-ce que la mesure objective d’une durée ? On ne voit jamais le temps lui-même mais seulement des changements : on construit des unités et des instruments de mesure qui nous permettent comparer la durée des événements. Au fond, c’est l’observation des mouvements périodiques de la nature de prendre une durée comme période-étalon ; uniformité du mouvement, comme la clepsydre ; construction de l’expérience du temps pour pouvoir comparer la durée des événements.

- 2) l. 9-18 : la relativité de l’expérience du temps : trois âges, trois rapports à la mort (deuxième argument)

Quel est l’animal qui marche à quatre pattes le matin, à deux le midi et trois le soir ? L’homme. La mythologie grecque nous a légué cette énigme qui montre que la vie humaine est pleine de métamorphoses, comme si elle contenait plusieurs vies. Effectivement, la vie de l’enfant n’a rien à voir avec celle de l’adulte, et en y regardant de plus près, on peut s’apercevoir que la signification de l’écoulement du temps est fonction de nos attentes et de nos expériences passées.

— ’La vie devant soi’ : l’insouciance de l’enfant : peu d’expérience et peu de besoin d’organiser le temps ; tout est encore possible ; tout est à découvrir, la nouveauté demande de s’intéresser à chaque événement. Impatience : ’quand je serai grand(e)’. La mort est abstraite, l’identité est encore en construction...etc.

— La ’vie bien remplie’ de l’adulte occupé : le temps des soucis ; on a des objectifs définis et peu de temps pour les réaliser : « il faut profiter » ; la vie est rythmée par les obligations, tout est rationalisé, planifié, compté ; le travail délimite le temps libre ; une fuite en avant. L’autonomie = la tâche de satisfaire les besoins qui se renouvellent ; nécessité d’agir selon le sens la vie que l’on croit avoir trouvé...etc.

— ’La vie derrière soi’ : le ’troisième’ âge, âge de la nostalgie ou des questions ; le temps de s’ennuyer, de regretter, de contempler une vie que l’on peut considérer comme finie ; plus d’utilité primordiale, perte d’autonomie, tout devient difficile et prend du temps ; la mort devient très concrète, on la redoute ou on l’attend comme une délivrance...etc.

- 3) l. 18-fin : l’invention du temps comme condition nécessaire, structurelle, de l’expérience humaine

— On pourrait reprocher à H. Arendt de caricaturer : le temps peut passer vite aussi pour un enfant, et la distinction des trois âges est sans doute un peu simple. L’intérêt de la référence à ces trois modes d’existence, ces trois âges, est plutôt de nous rappeler que l’expérience du temps est variable et que cette variation détermine notre vie dans son ensemble, toute découverte, toute mémorisation, tout apprentissage, toute compréhension du « cours des événements ».

— Tout événement vécu est « situé » occupe une certaine durée, que nous pouvons comparer à d’autres ; il est unique, malgré ses ressemblances avec d’autres situations déjà vécues : on ne peut affirmer la reproduction exacte d’un événement ; on ne peut revivre ni annuler le passé ; tout événement est pensé comme lié à des causes passées, des antécédents, et des effets futurs.

— Une hypothèse naturelle : spontanément, nous nous représentons un événement après un autre et avant un troisième ; expérience est considérée comme unique, irréversible, continuellement évanouissante : cette hypothèse structure notre rapport au monde ; toute durée objective, tout événement est pensé dans ce continuum de déroulement irréversible.


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