"Le doute conduit-il à la prudence ?" : ébauche de corrigé

Publié le 15 novembre 2009, mise à jour le 20 mars 2010
par vventresque
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"Ne désespérez jamais, faites infuser davantage." Henri Michaux.

INTRODUCTION

a) "Foncer tête baissée", "sans se poser de questions", ça peut marcher si on a de la chance, mais personne ne contestera que c’est l’imprudence même. Douter, c’est évidemment faire preuve de prudence, être lucide et non crédule. C’est, par exemple, ce qui peut nous éviter de nous laisser endoctriner dans une secte. On voit mal comment la prudence pourrait se passer du doute.

b) Mais la prudence ne suppose-t-elle pas une certaine tranquillité ? Le doute, au contraire, semble inséparable de l’inquiétude. Bien plus, on peut voir le doute lui-même comme un danger : il plonge l’esprit dans l’obscurité, le rendant moins réactif. Enfin, il est certaines "vérités" qu’il vaut mieux ne pas se risquer à remettre en cause, et la confiance est indispensable dans les relations humaines.

c) Faut-il alors considérer le doute comme une dangereuse faiblesse du jugement ou, au contraire, comme une garantie contre l’erreur ? Le problème se pose de savoir à quelles conditions l’usage du doute peut être raisonné, conforme aux mesures que la prudence impose (3ème partie). En effet, il ne saurait suffire de douter immodérément pour être prudent (2°), même s’il peut s’avérer une condition nécessaire de la prudence (1°),

- structure du paradoxe : (a) pas de doute => pas de lucidité, crédulité (b) prudence => tranquillité, quiétude (propriété de la prudence : pas de prudence sans tranquillité) OR doute => inquiétude ; doute => imprudence (effet) car cercle vicieux de la méfiance : être sur la défensive...

PLAN DÉTAILLÉ

I) Le doute nous garantit contre un faux pas, il est le principe de toute délibération.

- C’est la volonté de ne pas en rester aux apparences, ce qui permet de se donner le temps de la réflexion, afin de partir sur de bonnes bases. On agit en connaissance de cause, on est capable de modérer aussi bien nos espoirs que nos craintes. Se poser des questions, c’est la meilleure façon de ne rien avoir à regretter. Pour avancer sûrement dans la vie, nous devons être capables de distinguer ce qui est vrai, certain, ou seulement vraisemblable.

- Premier principe de la méthode selon Descartes, il est une protection contre la prévention (être prévenu, au mauvais sens du terme, c’est avoir un a priori, un préjugé) et la précipitation (aller trop vite). Le doute est la liberté de l’esprit, c’est l’acte de « penser par soi-même ».

- La docte ignorance, le fait de reconnaître ses limites, est le meilleur moyen de ne pas s’exposer inconsciemment au danger (témérité) puisque l’on accepte notre vulnérabilité. Le doute permet de garder en tête que l’avenir nous réserve toujours des surprises, il nous protège d’un excès d’assurance.

Transition : il peut être prudent de s’en remettre au sens commun, et dangereux de donner l’impression qu’on n’en fait qu’à sa tête.

II) Le doute peut être irrationnel et dangereux.

- Vivre en société, être heureux parmi les hommes, cela nécessite de savoir se fier à autrui. A l’inverse, certains « esprits forts » ont payé de leur vie leur réticence à suivre l’opinion commune. Socrate a été condamné à mort pour subversion, impiété.

- L’urgence de la vie quotidienne tolère rarement la remise en question. Il peut être dangereux de rester indécis ; douter de soi peut aussi être considéré comme un complexe d’infériorité, cela peut devenir angoissant et l’on sait que la peur est mauvaise conseillère : elle déforme nos évaluation des risques. Si l’on veut remettre nos idées en question, il faut choisir le moment propice, comme le dit Descartes lui-même (Méditations métaphysiques, I).

- Si le doute est un élément de la méthode pour trouver la vérité, il doit être provisoire. On ne peut d’ailleurs douter de tout (non-sens), le doute doit s’arrêter devant les évidences claires et distinctes. À l’inverse, comme un voyageur égaré en forêt, il faut savoir prendre arbitrairement une direction et s’y tenir fermement, malgré l’incertitude : « lorsqu’il n’est pas en notre pouvoir de discerner les plus vraies opinions, nous devons suivre les plus probables » (Descartes Discours de la méthode, III)

Transition : mais le doute est-il nécessairement irrationnel, ou peut-on distinguer différentes formes de doute, différents usages du doute ?

III) La circonspection : un art de la suspension (épochè) et de la mesure (métrologie).

- Hypothèses conceptuelles des deux thèses (conditions de validité, « domaine de définition »)

oui, le doute est un recul salutaire, qui nous libère de nos a priori non, la prudence est une tranquille assurance qui ne tolère pas l’indécision.
questionnement, exigence de vérification, juger la valeur de nos jugements esprit critique => condition sine qua non de la prudence (conscience du danger), origine et moyen tergiversation, irrésolution, méfiance, peur, faiblesse => condition insuffisante de la prudence (évaluation du risque), voire obstacle

- Moment de doute : anticipation ou saisie du présent ?
— Il nous faut élucider le rapport entre temps et délibération. Le doute prend du temps, il doit se pratiquer au bon moment, pour une durée limitée, et ne doit pas nous faire oublier les actions engagées - l’urgence des affaires en cours. Si le doute nous permet de prendre du recul par rapport à nos scénarios/stratégies, et nous aider à délibérer, il peut aussi nous entraver dans nos prévisions. D’où vient cette ambiguïté ? Peut-être que nous n’avons considéré pour le moment le choix que comme un rapport à l’avenir, alors que c’est une tension présente, entre mémoire et anticipation (ici, développement possible également à partir du texte de Bergson sur les variations d’intensité de la conscience)
— Nous disons que la prudence est une « faculté de délibérer avec succès » (Aristote, cf. bibliographie), cela ne signifie pas qu’il faille constamment vivre avec l’idée du danger ni même que l’on doive chercher à tout anticiper et contrôler : on perdrait alors la tranquillité que la prudence est justement censée nous apporter Le doute ne peut alors une méfiance (« quand ils eurent suspendu leur assentiment, la tranquillité s’ensuivit fortuitement, comme l’ombre suit un corps » Sextus Empiricus, cf. manuel p. 272). On ne peut jamais tout prévoir : la prudence ne suffit pas à nous éviter tout danger, ni ne consiste à prendre aucun risque. On peut au contraire considérer la prudence comme un art de vivre au présent (comme le suggère Épicure, in lettre à Ménécée). Il ne s’agit pas de chercher à tout prévoir, mais savoir saisir les opportunités présentes, et remarquer les « signaux avant-coureurs » d’un danger.
— On retrouve aussi cette idée chez Spinoza, que le choix n’est qu’une oscillation provisoire entre deux (plusieurs) désirs, dont nous ignorons lequel est le plus fort (cf. lettre 58). Il s’agirait donc de comprendre la force de nos désirs, de porter attention à la valeur de nos attentes (espoir/crainte) et de nos hypothèses (scénarios, stratégies). On peut rappeler que la prudence est avant tout une forme particulière de l’attention, et le doute une prise en compte de la complexité de la réalité présente. Parmi tous nos désirs, lesquels méritent d’être poursuivis ? Dans les stratégies que nous mettons en place, n’avons-nous pas confondu hypothèse et certitude ? Si l’on est attentif à la modalité de nos jugements (éventuel-possible // virtuel-imminent // réel-actuel // nécessaire-permanent), on peut éviter de prendre pour un danger véritable ce qui n’est qu’un risque, une lointaine éventualité.

CONCLUSION

Ni tergiversation défiante, ni assurance cédule, la prudence ne consiste pas à vivre en cherchant à éviter le risque. Elle exige de mesurer l’usage du doute, pour en faire un art de la suspension. Le véritable scepticisme implique de tenir compte des apparences ; « l’épochè » (« suspension de l’assentiment ») est une pratique de la curiosité, de l’observation de la complexité. Suspendre son assentiment (épochè) est l’art de mettre entre parenthèses les propositions obscures qui peuvent attendre : « Donc, en nous attachant aux apparences, nous vivons en observant les règles de la vie quotidienne sans soutenir d’opinions, puisque nous ne sommes pas capables d’être totalement inactifs. » (Sextus Empiricus, cf. manuel p. 273). Si être prudent c’est accorder nos attentes et les urgences du quotidien, le doute, en tant que faculté de laisser en suspens ce qui n’a pas besoin d’être déterminé, est indispensable pour discerner le simple risque et le véritable danger, il permet de garder attention aux priorités.


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